EHPAD : 30% des résidents souffrent de dénutrition ? Après les fossoyeurs, les affameurs ?

60 Millions de consommateurs publie une enquête sur les repas en Ehpad. Bilan : 30 % des pensionnaires seraient dénutris.

dimanche 29 octobre 2023, par Denis Lapalus

Ehpad : un scandale de plus

60 Millions de consommateurs a publié une enquête sur les repas en Ehpad. La situation est dramatique, avec des repas parfois fades et des quantités insuffisantes, entraînant un constat alarmant : 30% des résidents en Ehpad souffrent de dénutrition. En France, 450.000 à 700.000 personnes âgées sont touchées par la dénutrition.

Personnes âgées et perte de poids

Rappelons que les personnes âgées ont tendance à diminuer naturellement leurs apports alimentaires, tant en raison d’une réduction de leur autonomie que d’une croyance en des besoins normalement réduits avec l’âge. Certains troubles physiologiques liés au vieillissement comme une altération du goût, de la sensation de faim, des fonctions digestives ou des modifications métaboliques ne font qu’accentuer ce risque de dénutrition. La dénutrition est un facteur de risque de morbidité (le risque de maladie est multiplié par 2 à 6) et un facteur de risque de mortalité (risque multiplié par 2 à 4).

Jusqu’à 38% de pensionnaires dénutris

En EHPAD, la dénutrition est particulièrement présente, touchant 15 à 38 % des résidents. Pourtant, il n’existe, à ce jour, aucune enquête officielle nationale sur la prévention de la dénutrition dans les maisons de retraite.

Encore une question d’argent

Ainsi, l’association de consommateurs indique : "Pour les gérants des 7500 Ehpad du territoire, la gageure est certes multiple. Ils doivent assurer une restauration collective avec des contraintes sanitaires et législatives parfois fortes, tout en répondant aux besoins nutritionnels de chacun. Et cela dans un contexte de flambée des prix alimentaires. Résultat : le « bien manger » de nos anciens se heurte de plein fouet à la question budgétaire."

Pour les établissements privés (24 % des Ehpad en 2021, selon Uni-Santé), la recherche de rentabilité limite souvent certains postes comme la restauration. Pour les autres, publics ou associatifs, le budget hébergement (qui comprend les repas) obéit à un taux fixé, chaque année, par les conseils départementaux : il s’agit du pourcentage maximum de hausse que les établissements peuvent appliquer sur leurs prix de journée. En moyenne, il tourne autour de 3 %.

"Quand on a 11 % d’inflation sur les produits alimentaires et seulement 1 % d’augmentation pour le budget hébergement dans certains départements, cela revient à imposer au gestionnaire d’économiser sur tout, les biscottes, les yaourts, le poids des portions de viande, etc. " s’insurge Pascal Champvert, président de l’AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées).

Il faut dire qu’à raison de 5-6 € en moyenne pour une journée complète de repas (petit déjeuner, déjeuner, collation et dîner), difficile de faire des miracles. Et parmi les témoignages que nous avons reçus, certains évoquent même un « coût repas journalier » autour de 3 €. Un montant dérisoire, d’autant plus dur à avaler que les résidents paient de leur poche, d’après Pascal Champvert, 60 % environ du budget hébergement (sans les aides éventuelles).

Les repas en EHPAD

L’association de consommateurs a adressé un questionnaire aux différents pensionnaires et voici quelques éléments à retenir. Le détail complet étant à retrouver sur le site de 60 millions de consommateurs.

  • Sans aucun goût : les réponses sont plus mitigées, voire franchement négatives quand il s’agit des plats mixés (proposés le plus souvent à cause de difficultés à mâcher ou de troubles de la déglutition). Les résidents les déclarent "peu appétissants ou sans aucun goût, c’est toujours la même chose, une bouillie immangeable".
  • Mêmes sons de cloche reçus via l’association TouchePasMesVieux, comme pour cette résidente d’un Ehpad de Toulouse : « Si ma mère ne mange pas son repas mixé, il n’y a pas d’autres solutions, et donc elle maigrit », nous explique son fils. Surtout, certains établissements choisissent de mixer tous les repas… Un comble ! Il est en effet plus rapide de nourrir à la cuillère plusieurs personnes en même temps que de leur couper la viande et attendre qu’elles mâchent.
  • Seuls 25% des résidents finissent leur assiette : Mixé ou entier, si le plat ne plaît pas, un petit tiers seulement de nos répondants indiquent la possibilité d’une alternative. Le plus souvent type « jambon-purée » ou potage trempé de pain de mie. Et dans tous les cas, un quart seulement des résidents finissent leur assiette. Quant aux autres, 53 % la terminent « parfois » et 21 % « jamais ».
  • Question de goût, d’appétit, mais aussi de quantité : Certes, il existe des grammages officiels pour la restauration collective, adaptés à chaque classe d’âge dont les « seniors ». Mais les établissements restent libres de ce qu’ils mettent dans les assiettes. «  Par exemple, un potage, selon que l’on y ajoute de l’eau ou du lait, n’apportera pas les mêmes ingrédients, ni la même portion calorique », souligne le Pr Éric Fontaine. Son goût et sa valeur nutritionnelle dépendent aussi de sa préparation.
  • Une période de jeûne trop longue : le déjeuner servi entre 11 heures et 13 h 30, avec un pic à midi, et le dîner entre 18 heures et 18 h 30. Entre les deux, la collation du goûter, parfois donnée trop proche du dîner. Résultat : les résidents risquent d’avoir encore moins faim pour leur repas du soir. Mais le point noir est le temps passé entre ce dernier et le petit déjeuner du lendemain, servi au plus tôt à 7 heures et au plus tard à 10 h 30. Dans 75 % des cas, les douze heures de jeûne maximum recommandées par les gériatres s’avèrent dépassées !

Manque de personnel

Le souci reste donc le même, tel que dénoncé par ’Les Fossoyeurs". Dans un tiers des cas seulement, une personne est présente tout au long du repas. Les plus mal lotis sont les résidents ayant des difficultés à porter la nourriture à la bouche : la grande majorité (87 %) doit patienter de longues minutes. De quoi couper l’appétit, qui plus est avec un plat… refroidi. En cuisine comme en salle, encore faut-il du personnel en nombre suffisant. Les quotas actuels sont bas, fixés à six pour dix résidents. Ce n’est pas faute d’alertes et de propositions officielles.

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