Maisons de retraites : un budget insoutenable pour nombre de familles, une source de discordes

Financer une maison de retraite pour un membre de sa famille est un véritable casse-tête. Entre l’utilisation de ses ressources financières, de tout ses biens, la famille doit souvent être également mise à contribution. Toute l’épargne y passe.

mardi 26 mars 2019, par FranceTransactions.com (avec AFP)

Coût moyen d’une maison de retraite : 2.000€/mois

D’après une étude de la Mutualité française publiée en octobre, l’hébergement en maison de retraite coûte en moyenne 2.000 euros par mois aux plus dépendants, alors que les retraités touchent en moyenne 1.500 euros de pension. Dans la majorité des cas, le reste à charge est donc supérieur aux ressources du résident. Pour payer la différence, les familles peuvent demander une aide sociale à l’hébergement (ASH). Mais le conseil départemental, avant de fixer sa participation, impose aux "obligés alimentaires", c’est-à-dire aux enfants et petits-enfants, de contribuer en fonction de leurs ressources.

Le parcours du combattant

Un "parcours du combattant", qui peut mener à des "zizanies" familiales : pour certains proches de personnes âgées, le coût de l’hébergement dans les maisons de retraite relève du casse-tête, surtout lorsque les dispositifs d’aide sociale ne les dispensent pas de mettre la main à la poche. "C’est épuisant, sur les plans émotionnel et financier. Ça fait 13 ans que ça dure, et toutes les économies de ma mère y sont passées", témoigne Evelyne Ducrocq, une enseignante de 62 ans. Sa mère Gisèle, 87 ans, atteinte d’Alzheimer et aujourd’hui complètement dépendante, vit depuis 2006 dans un Ehpad du Pas-de-Calais, qui lui facture 1.900 euros mensuels. "Et encore, on est dans la fourchette basse des prix", soupire Evelyne. Mais l’octogénaire ne touche que 1.200 euros de retraite, si bien que, depuis 13 ans, ses deux filles ont dû se débrouiller pour payer la différence.

"On a d’abord utilisé les économies de notre mère, puis on a mis sa maison en location, mais on a dû faire des travaux, et on a eu des locataires indélicats", raconte la sexagénaire. "Aujourd’hui c’est moi qui puise dans mon épargne, j’y laisse un tiers de mon revenu. L’an prochain, je serai moi-même à la retraite. Je ne sais plus quoi faire !".

Il manque 600€ par mois

Frédéric, un Strasbourgeois de 57 ans, a ainsi déposé une demande d’aide pour pouvoir payer les 600 euros par mois qui manquent à sa mère Solange, 88 ans, pour régler sa maison de retraite. Au final, "le département serait prêt à verser seulement une centaine d’euros par mois. Tout le reste serait à ma charge. Mes frères et soeurs, eux, n’auraient rien à régler !". Mécontent de cette répartition, Frédéric a saisi un juge aux affaires familiales, qui ne se prononcera pas avant de longs mois.

Le fait que les départements sollicitent ainsi les descendants - et qu’ils puissent se rembourser sur le patrimoine de la personne âgée, après son décès -, explique en grande partie le faible recours à ce dispositif. Seuls 20% des pensionnaires d’Ehpad bénéficient de l’ASH, alors que les trois quarts ont des ressources insuffisantes pour payer leur hébergement.

<exergue|texte={Les gens ne veulent pas être une charge|position=right> "Les gens ne veulent pas être une charge" pour leurs héritiers, et sont réticents à ce que les économies de toute une vie soient ponctionnées après leur mort, souligne le sociologue Serge Guérin, spécialiste du vieillissement. Les seniors rechignent également à "créer la zizanie entre leurs enfants", décrit Jean-Pierre Hardy, enseignant à Sciences Po et expert de ces thématiques, qui dénonce un système "digne du XIXe siècle". "Certains vont en justice car ils refusent de payer pour un parent avec qui les relations sont rompues depuis des années", observe-t-il.

Une réforme de l’ASH pourrait être l’un des volets de la future loi sur la dépendance attendue avant la fin de l’année.

Un des groupes de travail chargés par le gouvernement de plancher sur ce dossier suggère d’harmoniser au niveau national le barème des efforts demandés aux enfants, et de ne plus solliciter les petits enfants. Il propose également de transformer en crédit d’impôt l’avantage fiscal accordé aux proches pour leur contribution aux frais de séjour - ceci afin d’en faire profiter aussi les moins aisés.

Enfin, les experts proposent de créer un "bouclier dépendance" : selon ce schéma, au bout d’un certain nombre d’années en établissement, la solidarité nationale prendrait le relais des familles.

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