Néocourtiers et fintech hors de France : l’AMF alerte les épargnants sur les potentiels risques

Les risques de recourir à un néo courtier ou à une fintech localisée hors de France sont importants, d’après l’AMF.

lundi 11 juillet 2022, par Denis Lapalus

Dans une interview à retrouver en intégralité dans le quotidien Les Echos, Robert Ophèle milite pour des règles communes au sein de l’Union européenne et moins de spécificités nationales.

Une supervision européenne imparfaite

La supervision des marchés financiers européens reste imparfaite. Nous militions pour un système de supervision unique autour de l’Esma [Autorité européenne des marchés financiers, NDLR] avec une surveillance directe de l’Esma sur certains acteurs clé, typiquement ceux qui font de la prestation transfrontière. Malheureusement, ce n’est pas le choix politique qui a été retenu. La logique qui a prévalu a été celle du marché unique de libre prestation de services sous la surveillance des autorités d’implantation d’origine des prestataires, en essayant d’avoir une convergence de la supervision entre les 27 autorités nationales. Autrefois, les sociétés établissaient des succursales dans les différents pays de l’UE. Aujourd’hui, elles ont des plateformes qui proposent des services avec un passeport obtenu dans un pays souvent choisi parce qu’il est le moins contraignant en matière de régulation ou le moins disant en matière fiscale.

Vers un désastre financier

La libre prestation de services appliquée aux services financiers à destination des particuliers conduit tout droit au désastre. L’AMF ne sait rien ou n’a que des idées très partielles sur les prestations délivrées en France par ces prestataires de services. En cas de réclamation d’un client français, elle ne peut rien faire, à part inciter ce client à se tourner vers le régulateur du pays où est établie la plateforme. Quand on travaille pour les particuliers, on ne peut pas se permettre ce genre d’errements. C’est l’un des enjeux des années qui viennent.

Plateformes de courtage établies à Chypre, Malte, au Luxembourg...

Elles peuvent être établies à Chypre, dans les pays baltes ou ailleurs… Mais ce ne sont pas les seuls cas. Notre information, sur des hedge funds luxembourgeois par exemple, peut être parcellaire. Certaines pratiques, comme le paiement pour flux d’ordres (PFOF), sont autorisées dans certains pays, notamment en Allemagne, mais les néocourtiers allemands proposent aussi leurs services aux Pays-Bas, où il est interdit. C’est bien au niveau européen qu’il faut décider ou non d’interdire ce type de pratique ; la Commission européenne a proposé cette interdiction, nous la soutenons.

MICA

Nous avons plaidé pour la transformation de directives en règlements, afin de limiter l’aléa lié à la transposition des textes, et pour la mise en place d’un certain nombre de nouvelles réglementations européennes. C’est ce qui est en cours dans le cas de Mica (Markets in Crypto-Assets), le règlement européen qui va encadrer les actifs numériques, ainsi que pour les mesures qui concernent la finance durable. Nous plaidons également pour la mise en place d’un certain nombre d’outils communs en Europe, comme la « consolidated tape » sur les données de marché, ou comme le point d’accès unique européen [European single access point ou ESAP, NDLR] pour toutes les données réglementaires.

Comment réguler les cryptoactifs ?

Nous espérons vivement que le projet de règlement européen qui va encadrer les cryptoactifs (Mica) et qui fait l’objet aujourd’hui de réunions tripartites entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission, va être entériné très vite. Il est important que la surveillance dans ce domaine soit homogène avec un dispositif d’agrément obligatoire des prestataires et un encadrement exigeant des « stable coins » [cryptos adossées à des devises, NDLR].

Début mai, l’AMF a enregistré Binance, alors que le Royaume-Uni lui a interdit d’exercer une activité réglementée, considérant qu’il commercialisait des produits financiers complexes et à haut risque. Pourquoi avez-vous donné ce feu vert ?

L’enregistrement comme prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) correspond au premier niveau d’autorisation lui permettant de se faire connaître sur le marché français. Il est bien moins exigeant que l’agrément qui est encore optionnel. Il se limite à des vérifications ciblées sur l’honorabilité (contrôle de l’identité, du casier judiciaire notamment), la compétence (attestation sur l’honneur, curriculum vitae) des dirigeants et des actionnaires significatifs de l’entreprise et sur les dispositifs de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Je préfère enregistrer des plateformes de cryptoactifs, que ne pas le faire. Cela me permet de savoir qui sont nos interlocuteurs, où les trouver et de pouvoir interagir avec eux, les contrôler, si besoin. C’est le raisonnement que nous avons tenu avec Binance et eToro, plus récemment.

Au niveau européen, il faudra plus qu’un simple enregistrement. L’agrément, plus exigeant et qui va susciter plus de contrôle, sera obligatoire.

Enregistrer une plateforme de cryptoactifs représente un danger car cela lui donne une légitimité…

C’est vrai. Mais cet enregistrement a été conçu comme un régime temporaire. Il faut passer à un régime complet et obligatoire, et il faut le faire au niveau européen. La polémique autour de la création d’un stable coin adossé à l’euro par un américain (en l’occurrence Circle) pourrait donner un coup d’accélérateur à la réglementation Mica, un peu comme la guerre en Ukraine a provoqué un électrochoc et réveillé la nécessité de faire avancer le dossier. L’Europe a craint que les Russes utilisent des cryptoactifs pour contourner les sanctions. Le débat aujourd’hui semble porter sur la couverture des NFT [jetons non fongibles, NDLR] et le rôle des diverses autorités : le gendarme des marchés (Esma) ou des banques (EBA).

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