Vins : Bordeaux primeurs 2019, une chute des prix allant de -1% à -31%, pour une qualité identique à celle de 2018
Hausse de la production mondiale, stocks importants, craintes sur les exportations, crise économique mondiale, les producteurs ne s’y trompent pas. Les prix des grands vins de Bordeaux chutent en moyenne de -19% sur la base de ceux publiés au 13 juin. Un recentrage sur le marché français s’impose. La qualité étant toujours au rendez-vous de façon globale, la dégustation des primeurs 2019 révèle toutefois des disparités.
samedi 13 juin 2020, par Denis Lapalus
Bordeaux : dégustation des primeurs 2019
Quentin CHAPERON, Directeur des Relations Châteaux et du Sourcing U’Wine et Aymeric DE CLOUET, Expert en vin auprès de la Cour d’Appel de Paris, nous ont livré leurs impressions lors d’un webinaire, après cette semaine de dégustation des primeurs 2019 grands vins de Bordeaux, exceptionnellement effectuée aussi tardivement en juin, confinement oblige.
Une dégustation tardive, sur place, pour le moins insolite
Crise sanitaire oblige, avec le confinement les dégustations des primeurs ont été reportées au mois de juin. Habituellement effectuées en avril, les experts professionnels ont donc dégusté des vins sensiblement plus aboutis que les années précédentes. Vous le savez les primeurs sont des vins encore en cours de formation. Ces vins sont fragiles et voyagent mal. Ainsi, pour bien les déguster, il était impératif de se rendre sur place. Les dégustateurs étrangers se contenteront, quant à eux, d’échantillons, avec tous les risques de mauvaises surprises que cela peut réserver.
4 dégustateurs par pièce, au lieu de 40 !
Pour des raisons évidentes de respect de distanciation sociale, seuls les professionnels habilités français pouvaient donc participer à ces dégustations. Aucun étranger. Ce point pourra soulever quelques inquiétudes quant à l’impact médiatique des grands vins de Bordeaux. Moins de professionnels étrangers sur place, c’est moins d’impact médiatique au niveau mondial.
Inédit, une partie des prix connus en même temps que les dégustations
Là encore, 2020 restera une année hors du commun. Avec les dégustations tardives, au final, une partie des prix ont été annoncé en même temps que les dégustations. Du coup, cela permet directement de déceler les meilleurs rapports qualité/prix.
Primeurs 2019, une qualité identique au millésime 2018, mais avec des disparités
Le millésime 2019 est comparable à celui de 2018 pour la qualité moyenne, même si certains vins sont moins réussis ou nettement moins réussis. La météo serait une nouvelle fois en cause. Un été 2019 trop chaud et trop sec aura trop chargé les grappes en sucre. Les éleveurs ont donc du, exceptionnellement, vendanger après les premières pluies afin de ne pas se retrouver avec des vins trop alcoolisés. Généralement, les éleveurs se précipitent pour vendanger avant la pluie, mais le changement climatique semble bien avoir des impacts également sur la vigne. Les parcelles à replanter pourraient remettre au goût du jour des cépages plus anciens que le merlot, pour une maturité plus tardive. Le merlot murissant trop vite. Les experts nous rappellent que des traces de vignes anciennes de plusieurs siècles ont été retrouvées en Suède... A l’heure où de nombreux projets de plantation de vigne en Bretagne, en Angleterre, en Belgique fleurissent, le réchauffement climatique passera donc par une adaptation des cépages dans le Sud-Ouest.
Une année encore difficile pour les blancs
L’appellation Pessac-Léognan est la plus homogène dans le moins de réussite. C’est la déception perçue les dégustateurs de U’Wine. Les Graves tout comme les Margaux seraient ressentis également à la traîne cette année. Mais cela n’empêche pas pour autant que le coup de cœur de cette année 2020 ira à un Graves.
Mention spéciale pour Château Olivier (Graves / Rouge)
Visiblement, le Graves Château Olivier a tapé dans les palais des experts de U’Wine. Séduits, ils assurent que ce millésime 2019 est le meilleur cru historique de ce château.
Chute des prix en moyenne de -19%, une année de crise, des prix de crise
Les prix connus actuellement sont en moyenne en baisse de -19%, avec les extrêmes allant de seulement -1% (Château Carbonnieux en blanc) jusqu’à -31% (Château Mouton Rothschild 1er Cru Classé et Château Pontet-Canet 5ème Cru Classé BIO).
Comment expliquer de telles baisses de prix ? Les réponses sont multiples. Des dégustations restreintes, la crainte d’une forte réduction des exportations (avec les taxes américaines, la non venue des journalistes étrangers, les acheteurs asiatiques restant en retrait), un contexte évident de crise économique, des stocks importants et une production mondiale toujours de plus en plus élevée. Une raison supplémentaire sans doute, le recentrage des Bordeaux sur la France. Les amateurs Français continuaient de délaisser les grands vins de Bordeaux, des prix trop élevés pour être bu. Les étrangers raflant le plus gros du stock, années après années, au prix fort. Mais en 2020, faute d’étrangers lors des dégustations, le Bordelais devrait donc tenter de séduire les consommateurs locaux. Et certains crus auront toujours du mal, car même avec une baisse de -30%, cela va rester cher pour bon nombre d’amateurs.
Les meilleurs rapports qualité/prix sont des vins autour des 30 euros
Acheter pour investir ? Les amateurs de vin sont toujours tentés d’espérer réaliser de bonnes affaires. La question avec cette baisse des prix étant de savoir si les prix ne vont tout simplement pas chuter de façon durable. Probablement pas. Au-delà de la renommée et de la qualité des vins, l’augmentation des prix au fil des années, après 10 ans de garde, est bien plus lié à la rareté du stock qu’à la qualité du stock restant. C’est la rareté qui est source principale de valeur.
Les coups de cœur de Quentin CHAPERON et Aymeric DE CLOUET
- Graves de Château Olivier, en rouge, Grand Cru Classé, sans doute le "meilleur millésime de son histoire" jusqu’à présent,
- Domaine de Chevalier, Léognan, reste une très bonne note, bien au-dessus du lot pour cette appellation,
- Château Lagrange, St Julien, très grand vin, excellente qualité, pour un domaine aussi vaste que 118 hectares, c’est rare,
- Branaire-Ducru (32,80 HT).
Investir le millésime 2019 pour le long terme ?
Avec ces baisses, les prix sont davantage attractifs que les années passées, pour une qualité supérieure aux années 2011, 2012, 2013.
Du côté des très grands vins
- Cheval Blanc (420 prix HT public), très bien réussi, mais Le petit cheval également, baisse des prix de plus de -30%, donc attractif,
- Mouton Rothschild, très réussi,
- Angélus (266 prix HT, -10% par rapport à 2018), Pavie, n’ont pas baissé suffisamment leurs prix pour être attractifs, malgré la qualité des vins élevés.
- Lafite Rothschild, les prix restent toujours un cran au-dessus, intouchable pour le Français amateur à 475 €HT la bouteille.