Livret A : où va vraiment l’argent placé ? À quoi sert exactement mon épargne ?

De nombreuses idées reçues portent sur le livret A, son rôle primordial pour le logement social notamment ou encore son coût élevé pour les banques. Retour dans le détail sur ce que devient votre argent, une fois placé sur votre livret A. Surprises garanties.

jeudi 14 juillet 2022, par Denis Lapalus

Votre argent déposé sur votre livret A sert davantage aux financement des entreprises (PME) qu’à celui des logements sociaux. Le Livret A "ne coûte pas d’argent" aux banques, mais leur rapporte. Toutefois, les banques pourraient gagner davantage en vous incitant à placer sur des produits maison, plus rentables pour les banques. Une partie des encours du livret A est investi sur les marchés financiers, dont notamment le CAC40.

Livret A, 200 ans... Et quelques rides quand même

Le livret A est un héritage historique unique. Vieux de plus de 200 ans, ce placement épargne, net d’impôt et de prélèvements sociaux, reste totalement sous la gestion de l’État. Un véritable coup de canif dans les règles les plus élémentaires de la libre concurrence, le livret A créant une distorsion concurrentielle inattaquable, jusqu’au sein de l’Union Européenne. Niche fiscale la plus utilisée, favorisant les épargnants les plus aisés, l’Union Européenne somme la France de mettre un terme à ce livret A ubuesque. Mais le livret A est tellement porté dans le cœur des Français qu’aucun gouvernement ne prendrait le risque d’y mettre un terme. L’argument massue étant que le livret A sert au financement du logement social en France (octroi de crédit aux organismes HLM). Dans les détails, c’est un rôle bien secondaire.

Le saviez-vous ? Plus de 9 milliards d’euros du livret A sont placés sur les marchés financiers, dont le CAC40 ! Il s’agit de soutenir l’économie française, mais également d’obtenir un rendement plus élevé. Mais plus élevé pour qui ? Pas pour les épargnants.

Livret A : piloté par l’Etat, gestion confiée à la CDC

Le Livret A est sous la coupe de l’Etat, sa gestion est confiée à la CDC (Caisse des Dépôts et Consignations). Cette institution négocie avec les banques la distribution ainsi que la gestion au quotidien du livret A. Pourquoi confier une partie des dépôts à la CDC ?

Livret A/LDDS : dépôts garantis par l’Etat

C’est l’Etat qui se porte garant de vos dépôts sur votre livret A. Cela n’a donc rien à voir avec la garantie bancaire de 100.000 euros dont tout client bénéficie lors de l’ouverture d’un compte courant au sein de l’Union Européenne. Une partie des dépôts effectues est donc centralisé à la CDC tout simplement parce que les dépôts effectués sur le livret A / LDDS sont garantis directement par l’Etat, à hauteur de 100.000€. C’est pourquoi le dépôt au sein de la CDC est nécessaire, car si une banque venait à faire faillite, l’Etat ne pourrait pas garantir le capital.

Livret A : où mon argent ?

La CDC précise le montant des répartitions des dépôts entre banques et CDC. Cette répartition (le terme de centralisation est utilisé) peut varier. Elle dépend des négociations entre la CDC et les banques distributrices du livret A/LDDS. Une banque n’est pas tenue de distribuer l’épargne réglementée. D’ailleurs certaines banques ne proposent ni le livret A, ni le LDDS. La CDC centralise les dépôts du livret A/LDDS à hauteur de 60%. Le solde, soit 40%, reste en dépôts au sein des banques.

Livret A : que font les banques et la CDC de mon argent ?

Quand vous versez 100 euros sur votre livret A, 60 euros seront déposés auprès de la CDC, et 40 euros resteront dans votre banque [1]. Et l’usage de vos dépôts sera alors sensiblement différent. Répartition des affectations des encours du livret A, entre banques et CDC

(source chiffrée CDC)

Que fait la CDC de l’argent du livret A ?

La CDC octroi principalement des crédits aux organismes du logement social : offices publics d’aménagement et de construction (OPAC), offices publics de l’habitat (OPH), entreprises sociales pour l’habitat (ESH). Les prêts sont indexés sur le taux du livret A, à des taux privilégiés. Par exemple : un taux de prêt de 1.17 % correspondra au taux du livret A (0.50%) + 0,67 % (taux préférentiel). Mais ce n’est pas tout, puisque la CDC octroie également des crédits aux PME, souscrit des Obligations d’Etat et place une partie du capital en bourse. C’est assez surprenant, mais la CDC se doit également de rémunérer les banques afin de servir le taux d’intérêt du livret A ainsi qu’également payer les commissions des banques. C’est pourquoi la CDC place plus de 9 milliards d’euros sur les marchés financiers. Oui, votre argent de votre livret A est investi en partie sur le CAC40 !

Livret A : à quoi sert l'argent ?
Ventilation des encours du Livret A au 18 novembre 2024, en milliards d'euros (M€)
AffectationProportion (en %)Montant (en G€)
CDC - Logements sociaux34.41 %147,45 G€
CDC - Obligations Etats17.41 %74,60 G€
CDC - Prêts PME4.98 %21,34 G€
CDC - Actions/Marchés financiers2.70 %11,57 G€
Banques - Prêts Verts4.05 %17,35 G€
Banques - Prêts ESG2.02 %8,66 G€
Banques - non affecté2.03 %8,70 G€
Banques - Prêts PME32.40 %138,83 G€
TOTAL100 %424 G€
G€ = Milliards d'euros. Calculs effectués par FranceTransactions.com sur la base des ratios de ventilation indiquées par la CDC.

Livret A : la CDC rémunère les banques sous forme de commissions sur encours

Les banques sont rémunérées par la CDC afin de proposer le livret A/LDDS à leurs clients. Avant la réforme du 1er janvier 2009, ce taux de commission était en moyenne de 1,12 %. La réforme de 2009 a modifié les règles de centralisation et de commissionnement. Les banques perçoivent d’abord un taux de commissionnement moyen de 0,5 %. Inutile donc de dire que les banques sont les grandes gagnantes de cette épargne réglementée. En effet, non seulement elles sont commissionnées par la CDC, mais de plus, elles octroient des crédits aux PME avec ce capital. Or, les crédits sont de véritables vaches à lait pour les banques. Là encore, il faut passer sur les préjugés laissant penser que le livret A coûte cher aux banques... Elles aimeraient tout simplement que votre argent soit déposé sur d’autres comptes maison, car plus rentables pour elles, mais elles ne perdent aucun argent avec le livret A/LDDS.

Que font les banques de l’argent du livret A ?

Les quelques 40% des encours du livret A restent dans les livres des banques. Ces dernières n’ont pour autant pas une totale liberté pour l’affectation de ces encours. En effet, depuis le 14 juin 2020 (date de la publication au Journal officiel), les banques doivent allouer 80% des encours détenus du livret A et du LDDS vers les PME (octroi de crédits). Par ailleurs, 10% des dépôts doivent contribuer au financement de projets contribuant à l’écologie (vaste domaine (sic)). Enfin, 5% des sommes en question doivent être orientées par les banques vers le financement d’entreprises de l’Economie sociale et solidaire (ESS). Les 5% restants ne sont pas soumis à affection.

Affections des encours livret A/LDDS détenus par les banques
AffectationsProportions
Prêts aux PME
80%
Prêts verts
10%
Prêts ESS
5%
Non affectés
5%
TOTAL
100%

Livret A : le financement des PME devant celui des logements sociaux

Contrairement à une idée reçue persistante, le livret A ne sert pas en priorité au financement des logements sociaux, loin de là, même dans la totalité. Moins de 35% des encours du livret A sont affectés à cette mission. Au final, c’est bien le financement des PME qui est bien le premier objectif des encours du livret A/LDDS. Ainsi, le financement des logements sociaux n’arrive qu’en second plan. Les épargnants peuvent ainsi faire valoir que leur épargne finance l’économie réelle, même si ce sont bien les banques qui en bénéficient en premier lieu.

Encours du livret A/LDDS, le financement des PME avant tout
Financement des PMEFinancement des logements sociaux
CDC - Prêts PME 4.98 % CDC - Logements sociaux
34.41 %
Banques - Prêts PME 32.40 % - -
TOTAUX
37.38%
-
34.41%

Par ailleurs, il peut être constaté que l’argument du maintien en l’état du livret A pour le financement des logements sociaux est totalement fallacieux. Une autre organisation pouvant être mise en place. Du reste, nombre de pays européens financent leurs logements sociaux sans détenir de livret A.

Au final, le livret A un coût ou pas pour les banques ?

La réponse est évidemment aisée. Le livret A rapporte aux banques bien plus qu’il ne coûte. Il ne faut pas tomber dans le travers de faire la différence entre les intérêts versés par les banques (dont 60% sont payés par la CDC) et les commissions versées pour la gestion du précieux livret. Il faut également inclure les produits issus des crédits octroyés aux PME via cette manne. Et n’oublions pas qu’un euro détenu dans le livre d’une banque peut être prêté jusqu’à 12 fois ! En margeant à 1,5% sur les 112 milliards d’euros de crédit à octroyer, cela représente plus d’1,25 milliard de revenus, chaque année. Si le capital est alloué jusqu’à 12 fois (respect du ratio réglementaire bancaire), le jackpot pour les banques dépassent alors les 15 milliards d’euros par an.

Encours sur le livret A et LDDS

Total des encours des livrets épargne réglementés à fin août 2024
Livrets épargne
Total des encours en Milliards d’euros
Livret A
428.50 M€
LDDS
155.60 M€
TOTAL
584.2 M€
(source : CDC - Caisse des Dépôts et Consignations)

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