FIRE, vivre de revenus passifs : des espoirs entretenus sur les réseaux sociaux, douchés par la réalité de la vie
Acquérir une indépendance financière et prendre une retraite anticipée : voici un objectif séduisant, souvent visé par une génération qui n’a pas connu encore la moindre crise financière.
samedi 27 juillet 2024, par Denis Lapalus
Épargner, une nécessité
La démarche d’épargne est nécessaire, notre système de retraite par répartition a montré ses limites depuis longtemps. La retraite par capitalisation, c’est à dire, épargner pour soi-même, devient impératif. Toutefois, ce mouvement FIRE ne vise pas à se constituer un capital pour la retraite, mais bien cesser de travailler le plus tôt possible. Sur les réseaux sociaux, de nombreux jeunes, parfois encore étudiants, n’ayant donc même pas débuté leur vie active, songent déjà à prendre leur retraite anticipée, et cesser toute activité. Ils suivent ce mouvement FIRE, lancé dans les 1990, prônant une épargne extrême. Se créer rapidement un capital conséquent, prendre des risques importants, afin de tenter de pouvoir vivre de revenus tirés de ces investissements, voici leur graal suprême. La réalité sera évidemment bien différente.
FIRE : vivre de ses rentes
Le terme français pour ce mouvement FIRE est tout simplement de devenir rentier. Cela fait tout de suite moins glamour, et pourtant il s’agit bien de la même chose. Avoir un capital suffisamment important afin de pouvoir vivre simplement, et sans limite, des produits de ses investissements. La subtile différence est que pour y parvenir, aucune épargne massive, construite des investissements fortement risqués n’est prônée.
FIRE, Financial Independence, Retire Early
Le mouvement FIRE est un mouvement de style de vie dont l’objectif est d’acquérir une indépendance financière et de prendre une retraite anticipée. Il s’agit d’épargner massivement pendant quelques décennies afin de pouvoir vivre aisément des revenus de ses investissements, sans avoir à travailler. Financial Independence, Retire Early (FIRE) s’inspire du livre de 1992, Your Money Your Life, écrit par deux gourous de la finance. FIRE est un mouvement de personnes dévouées à un programme d’épargne et d’investissement extrême qui vise à permettre une retraite anticipée par rapport à l’âge traditionnel. En France, ce principe n’est pas applicable, puisque le départ à la retraite, même pour les personnes indépendantes financièrement n’est pas possible avant l’âge de 62 ans. Ce fameux âge légal minimum de départ à la retraite. Mais peu importe, rien n’interdit de rêver. De nombreux jeunes actifs misent, plus modestement, donc sur des revenus réguliers issus de leurs placements financiers, sans toutefois devenir réellement rentier.
Des années de sacrifice pour se constituer un capital
La clé est évidemment de se constituer rapidement un capital important afin de pouvoir vivre de ses rentes financières. Combien faut-il pour y parvenir ? Certains articles de presse, assez peu documentés font état parfois de seulement 150.000 euros allant jusqu’à 850.000 euros ! Bigre, c’est large comme fenêtre. Mais obtenir 150.000 euros de capital ne permettra pas sans doute de faire grand chose de bien. En effet, 150.000 euros, même placés à 8% (un excellent rendement !) procurent, en théorie, 1000 euros bruts de revenus par mois. Il s’agit de théorie pure, car dans la vraie vie, rien de cela ne se passera ainsi. Les 8% ne seront pas constants au fil des années, cartaines années le rendement pourra être supérieur, d’autres années inférieur, voire négatif ! Quand bien même, ces 1000 euros bruts doivent passer au crible des inévitables prélèvements sociaux (17.2%), ainsi que de la potentielle fiscalité applicable sur les revenus, selon les investissements effectués. Par ailleurs, avec une inflation de 2.5% annuelle, le revenu passif mensuel réel tombe à 687.50 euros bruts seulement. Les 8% se transforment donc en 5.5% réel brut, inflation déduite, puis en 4.55 % prélèvements sociaux déduits, avant application d’une potentielle fiscalité. Sois un revenu passif de 568.50 euros par mois, si aucune fiscalité ne s’applique (cas favorable du PEA et de l’Assurance-Vie). Si le capital est investi sur un CTO, ce revenu perdra encore 12.8% de sa valeur pour aboutir à la somme de 481,25 euros mensuels nets. Pas de quoi vivre et de s’arrêter de travailler, puisque cela ne paiera même pas le loyer. La vérité est donc ailleurs.
D’autres calculs, comme sur notre site (ie, combien faut-il pour devenir rentier ?) aboutissent sur un capital bien plus conséquent de 2,5 millions d’euros afin de dégager un revenu net fiscal mensuel de 2 fois le SMIC. Il faut en effet ne pas uniquement scruter les revenus bruts. La vie est plus rude qu’une simple application d’un taux de rendement sur un montant de capital.
Combien faut-il épargner par mois pour atteindre 850.000 euros de capital ?
Retour à cet article de presse, partant pour un capital de 850.000 euros. Soit. Pour un épargnant FIRE arrivant à mettre de côté 1500 euros par mois, il faudra près de 20 ans pour arriver à amasser un capital de 850.000€ en réussissant à investir sur des placements rapportant 8% par an ! Certains pensent pourtant atteindre ce but, avec un tel rendement moyen. Ce qui est évidemment une totale illusion. Certaines années seront dans le rouge, retardant d’autant l’atteinte de l’objectif. Le capital étant impacté sur des placements pour lesquels des rendements élevés sont espérés. Pas de rendement élevé sans prise de risque élevé.
J’épargne 1.500 euros par mois
Rendement du placement | Durée nécessaire pour atteindre un capital de 850 000€ | Total du capital versé | Total des plus-values | Total capital constitué |
---|---|---|---|---|
10% | 18 ans | 324 000€ | 540 597€ | 864 597€ |
9.5% | 19 ans | 342 000€ | 575 555€ | 917 555€ |
9% | 19 ans | 342 000€ | 526 182€ | 868 182€ |
8.5% | 20 ans | 360 000€ | 550 379€ | 910 379€ |
8% | 20 ans | 360 000€ | 498 990€ | 858 990€ |
7.5% | 21 ans | 378 000€ | 512 334€ | 890 334€ |
7% | 22 ans | 396 000€ | 519 204€ | 915 204€ |
6.5% | 22 ans | 396 000€ | 462 765€ | 858 765€ |
6% | 23 ans | 414 000€ | 459 173€ | 873 173€ |
5.5% | 24 ans | 432 000€ | 448 968€ | 880 968€ |
5% | 25 ans | 450 000€ | 432 181€ | 882 181€ |
4.5% | 26 ans | 468 000€ | 409 003€ | 877 003€ |
4% | 27 ans | 486 000€ | 379 769€ | 865 769€ |
3.5% | 29 ans | 522 000€ | 374 997€ | 896 997€ |
3% | 30 ans | 540 000€ | 330 210€ | 870 210€ |
2.5% | 32 ans | 576 000€ | 302 397€ | 878 397€ |
Rendement spécifique
En utilisant ce simulateur vous pouvez estimer le capital que vous pourriez constituer en fonction de votre capacité d’épargne.
Capital à atteindre pour atteindre le but FIRE : pourquoi une telle disparité dans ces calculs ? Comme nous l’avons vu, tout dépend de la prise en compte de la préservation du capital, de la prise en compte de l’impact de l’inflation, et enfin, de la fiscalité portant sur ces revenus passifs. Globalement, il faut un capital conséquent, augmentant d’année en année au minimum de l’inflation afin de pouvoir être rentier à vie. Et bien évidemment, grignoter son capital au fil des années, sous forme de reversement, ne permet pas de se garantir des revenus jusqu’au bout de sa vie. Personne ne sachant combien d’années il lui reste à vivre, se fier aux statistiques sur l’espérance de vie est un pari risqué de plus. Une moyenne ne concerne personne pour son cas particulier. Par ailleurs, la fiscalité est à appliquer sur ces revenus passifs bruts. Et même en cumulant les enveloppes fiscales, PEA, PER ou assurance-vie, le rendement objectif sera réduit, ne serait-ce qu’au minimum via les prélèvements sociaux, payables dans tous les cas.
Influenceurs, margoulins et opportunités de business
Ce mouvement FIRE est devenu particulièrement populaire en France dans la fin des années 2010, gagnant du terrain au sein des communautés en ligne via des informations partagées sur des blogs. La période Covid a évidemment boosté cette mode, l’inflation aura fait son travail. Largement relayé par des influenceurs de tous poils, lançant parfois même des services payants d’aide à la mise en place de ce type d’épargne (ils n’ont pas perdu le nord...), ou de suivi et d’agrégation de comptes et d’actifs financiers (alors que la nombre de banques incluent ce service dans leurs offres), ce mouvement a pris de l’ampleur. L’AMF a même constaté que la jeune génération s’intéresse de nouveau aux placements financiers, mais n’a pas précisé que les investissements se limitent à l’achat d’ETF portant sur le MSCI World Index, un indice composé par Morgan Stanley, investi à 70% sur le marché américain. FIRE a tellement gagné en popularité que cela en est devenu un véritable business pour nombre d’intermédiaires financiers peu scrupuleux, poussant ainsi la jeune génération à épargner parfois plus que de raison (absence d’indépendance vis à vis des parents, incitation à une vie frugale, etc.).
Quel est le profil-type des FIRE addicts ?
Et pourtant, épargner plusieurs centaines d’euros par mois, voire plus de 1000 euros mensuels, n’est évidemment pas possible pour la grande majorité des Français. Il faut d’ores et déjà satisfaire ses besoins élémentaires (logement, nourriture, habillement, etc.) avant de pouvoir épargner. C’est pourquoi ce mouvement concerne essentiellement de jeunes actifs, salariés pour la plupart, ayant des revenus élevés pour leur début de carrière. Sans charge de famille, ni de résidence principale à financer, leur capacité d’épargne est grande. Cet objectif de création d’un capital conséquent pour vivre de revenus passifs leur semble donc atteignable.
Fiscalité et inflation : Des ennemis à combattre
Les investisseurs d’hier ont découvert que vivre de ses investissements pouvait être bien plus complexe qu’anticipé. La fiscalité et l’inflation étant deux barrières majeures à l’atteinte du rêve ultime.
- Réduire la fiscalité : Le PEA, enveloppe fiscale par excellence pour les investissements à risques, ne permettant pas tous les investissements, dont notamment l’obligataire. Ce type d’actif offrant pourtant le meilleur ratio rendement/risque ces dernières années. Bien que l’assurance-vie ait souvent une mauvaise image auprès de la jeune génération, l’assurance-vie serait trop lourdement chargée en frais, cette enveloppe fiscale permet d’éluder également la fiscalité portant sur les produits financiers. Il existe pourtant quelques contrats d’assurance-vie sans frais de gestion, ni frais sur versements... Mais encore faut-il réellement s’intéresser au secteur (sic).
- Limiter l’inflation par la prise de risques : L’envolée du marché des cryptos, tout comme celui des actions américaines (Tesla, Amazon, Alphabet, Microsoft, etc.) ont largement contribué à cette idée qu’en prenant des risques, l’on pouvait se constituer un capital suffisamment important pour vivre de ses rentes. Certains y seraient parvenus, la majorité va de son côté affronter la réalité financière : les déconvenues seront les plus nombreuses.
Investir son capital et ne plus y toucher pendant 15 ans ? Un leurre
Si investir sur les marchés actions, en direct, ou via des ETF, est légitime, du fait de l’historique de rendements des marchés financiers, un des points cruciaux du FIRE est de ne pas intervenir sur son placement ,afin d’éviter de réagir à chaud, sur les chutes de cours, qui ne manqueront pas d’arriver. Ainsi, sur une durée de placement de 15 ans, il fait être certain de ne pas avoir besoin de ce capital. Or, la vie n’a rien d’un long fleuve tranquille. Ces investisseurs verront défiler les différents moments de vie, une union, un mariage, ou encore la naissance d’un enfant, le fait de devenir propriétaire, etc. Ces moments de vie mettront probablement à plat cet engagement fait de ne pas toucher à ce pactole.
Être à la retraite à 40 ans, c’était plus facile avant ?
Le temps béni des méga-bonus et plan de stocks-options semble être révolu pour de nombreuses personnes. Si dans les années 2010 il n’était pas rare de croiser des personnes ayant bénéficier de plans de stocks-options particulièrement généreux, cet âge d’or est révolu. Dans une carrière de CGP, il était fréquent de croiser des personnes ayant bénéficié de ces plans. À la tête de quelques millions d’euros, ces investisseurs vivent effectivement de leurs rentes financières, sans pour autant avoir subi des années de privation et d’épargne extrême.
FIRE : un miroir aux alouettes, full risques !
Avec la jeune génération qui investit massivement sur les marchés actions américains, sans prendre en considération les risques pris, le mouvement FIRE est un piètre exemple de la gestion des risques. La génération FIRE addict n’a connu aucune crise boursière majeure. Alors que certains faisaient fortune sur des feux de paille, des cryptos, de la spéculation sur les marchés actions avec des forums comme seul soutien de la spéculation (Reddit, etc.). Le prochain trou d’air devrait remettre l’église au centre du village, selon l’adage des boursicoteurs.
Des mathématiques parfois foireuses
Certains influenceurs, dans leur projection, estiment que le rendement moyen de leurs investissements (par exemple sur le SP500) devrait être de 7 ou 8% par an. Pourquoi pas. L’erreur la plus commune consiste donc à projeter ce rendement moyen sur les 10, 15 ou 20 années suivantes.
Taux annualisé moyen Vs Taux moyen sur une période : Une projection sur 40 ans en indiquant que chaque année les revenus seront de 8%, en arguant que le taux annualisé est de 8% est une erreur de calcul. Justement si les financiers utilisent le taux annualisé sur une période, c’est pour ne pas avoir à lister toutes les lignes de la période. Les rendements annuels ne seront jamais constants. Ces simulations sont donc trompeuses, en confondant taux annualisé sur une période et taux moyen sur une période.
La composition des intérêts aidant, ces investisseurs d’un nouveau genre, visiblement peu aguerris en mathématiques financières, estiment le montant de leur capital. Sauf qu’évidemment la composition des intérêts ne peut pas s’appliquer sur une moyenne des rendements. Si les marchés financiers servent une performance de 8% en moyenne sur une durée de 20 ans, composer un intérêt de 8% sur cette même période pour estimer le montant de son capital au terme des 20 ans est une erreur de calcul. Les marchés boursiers n’affichant pas toutes les années 8% de hausse. Or la formule de composition des intérêts ne s’applique que lorsque chaque année le rendement est identique, par exemple de 8%. Un exemple chiffré, l’écart pouvant être important.
Exemple chiffrée : Kévin investi régulièrement sur un ETF World Index. Son capital de départ est de 1000 €. Il anticipe une progression de 8% par an de son ETF. C’est beaucoup, mais pourquoi pas, peu importe. Son horizon de placement est de 20 ans. Il utilise la formule de composition des intérêts pour estimer le montant de son capital de départ au terme des 20 années. Il trouve le montant de 4.315 €. C’est un calcul juste. Ce qui est faux, et qui le sera forcément, même si le rendement moyen de son ETF sera bien de 8% sur ces 20 ans, c’est que l’application de la composition des intérêts n’est pas applicable dans ce cas. Certaines années seront probablement en baisse, voire négatives, et d’autres en hausse au-delà des 8%. Le hic étant que les hausses de plus de 8% peuvent ne pas compenser les baisses. En clair, le rendement ne sera pas de 8% chaque année. Et donc la formule de calcul des intérêts composés ne peut pas s’appliquer. L’exemple montre, sur la base de variations erratiques de cet ETF, que le capital de Kévin serait de 3.976 € au bout de 20 ans, au lieu des 4.315 € théorique. Un écart déjà important pour un capital de seulement 1.000€ . Estimez donc le delta quand il s’agit d’un capital de 850.00 € !
FIRE, il n’y a pas le feu !
Rappelons-le, épargner est sain, nécessaire et utile. Ce qui le sont moins sont les comportements extrémistes. Le mouvement FIRE prône une vie frugale, quitte à ne pas prendre son indépendance, continuer de vivre chez ses parents pour éviter de payer un loyer, bénéficier des aides sociales pour la nourriture, des loisirs réduits, des sorties gratuites, etc. Au bout de quelques années, beaucoup se posent alors des questions existentielles sur le devenir de leur vie, leur but exact. Parfois, ce sera également le sentiment de vivre pour épargner, et non pas d’épargner pour mieux vivre. Alors que le but ultime est d’atteindre une indépendance financière, les extrémistes de l’épargne seront les premiers dépendant de leur argent. Epargne à tout prix, quitte à passer à côté des meilleures vingt années de leur vie. Un paradoxe qu’il convient de bien mesurer avant de se lancer dans un tel mode de vie.